Ce document est issu d'une réflexion concertée d'enseignants et de doctorants, au sujet du Contrat de Thèse, élaboré par l'association HotDocs . Il ne s'agit pourtant pas d'une contre-proposition, ni d'un contrat de thèse bis. Notre but n'est pas de fixer des règles, mais plutôt de décrire un état de fait, dans un but d'information. Information des candidats au doctorat sur le déroulement de leurs études et leurs perspectives d'insertion, mais aussi information des employeurs industriels sur le contenu de la formation par la recherche que valide un diplôme de doctorat.
Ce qu'est une thèse dépend bien sûr de la personnalité du doctorant et de son directeur. Mais la règle du jeu peut varier en fonction de la discipline et même de la spécialité. Certaines particularités disciplinaires seront évoquées au fil du texte. Pour le reste, nous avons tenté d'extraire un dénominateur commun de la multiplicité des situations observées. La plupart des chiffres cités sont issus du Rapport sur les Etudes Doctorales publié par le MENESR en décembre 1996. Par exemple, sur les 364 thèses de mathématiques soutenues en 95 en France, 23,3 % l'ont été par des femmes, et 20,5 % des 765 thèses d'informatique (la langue française est ainsi faite que nous ne parlerons que de doctorants et de directeurs).
Dans une forte proportion de cas, le sujet de thèse prolonge le DEA, sans que cela soit une règle absolue. De nombreux doctorants changent de directeur après leur DEA, voire même d'université ou de discipline. Certains, en particulier venant de l'étranger, n'ont jamais passé de DEA.
S'engager dans une thèse est une décision importante tant pour le candidat que pour son directeur. Le premier doit être sûr de sa motivation et de son enthousiasme. Le second prend pour plusieurs années la lourde responsabilité de la formation de son élève. Entre les deux, une relation très étroite va s'établir. Cette relation personnelle joue un grand rôle et une bonne entente est une condition importante du succès. Dans nos disciplines, les abandons sont de l'ordre de 15 % des premières inscriptions. Un abandon est toujours traumatisant tant pour le candidat que pour son directeur. Une bonne discussion préalable avec information et évaluation de la motivation du candidat pourrait éviter ceux des abandons qui sont dus à une mauvaise orientation initiale. Sauf exception assez rare, les formations doctorales de mathématiques et informatique de Grenoble n'autorisent la poursuite en thèse qu'aux étudiants ayant obtenu au moins la mention AB au DEA.
Sans tomber dans une classification simpliste, on peut distinguer deux types de thèses, que nous désignerons par "académiques" et "industrielles". Les premières donnent lieu à des publications dans des revues ou des actes de conférences de type universitaire, et ouvrent traditionnellement sur les carrières de la recherche publique ou de l'enseignement supérieur. Les secondes, réalisées dans le cadre d'un contrat d'application, ou directement dans le service recherche et développement d'une entreprise constitueront une première expérience professionnelle aisément valorisée dans une future recherche d'emploi. Elles se prolongent d'ailleurs souvent par un CDD ou un CDI dans la même entreprise. Il serait faux d'affirmer qu'un docteur "académique" ne trouvera pas d'emploi industriel : même si son travail de thèse a très peu de chances d'intéresser directement une entreprise, ses qualités personnelles, sa formation et son autonomie pourront le faire préférer à d'autres candidats. A l'inverse un docteur "industriel" peut candidater sur des postes de maî tre de conférences. Il se présentera néanmoins avec un dossier de publications en général moins étoffé. Même à l'intérieur des sujets "académiques", certains sont plus porteurs que d'autres au moment du recrutement. Il serait évidemment absurde de ranger chaque thèse dans l'une ou l'autre des deux catégories. On doit plutôt parler d'un spectre continu allant des thèses les plus théoriques aux plus appliquées.
Le choix du sujet est d'abord affaire de goût et de motivation. Les candidats doivent cependant être conscients qu'il peut conditionner en partie leur insertion professionnelle et leur carrière future.
Les sources de financement sont extrêmement nombreuses et variées
et vont bien au-delà des allocations de recherche du ministère
auxquelles on pense d'abord.
Voici les répartitions des financements de thèses soutenues en
France en 1995, en mathématiques et informatique.
DSPT 1 | DSPT 4.1 | |
Allocations de recherche MESR | 105 | 266 |
CIFRE | 5 | 50 |
Organismes de recherche | 28 | 66 |
Associations et entreprises | 15 | 61 |
Minstères et collectivités | 6 | 38 |
Bourses d'écoles | 22 | 15 |
Bourses pour étrangers | 47 | 101 |
Bourses non précisées | - | 3 |
Financements stricto sensu | 228 | 600 |
Salaires | 29 | 77 |
Total financés | 257 | 677 |
Thèses recensées | 352 | 748 |
dont docteurs étrangers | 149 | 240 |
% financé | 73 | 91 |
La recherche d'un financement incombe de manière conjointe au candidat et à son directeur. C'est le directeur qui indiquera les différentes possibilités (région, CNRS, BDI, CIFRE), qui rédigera le sujet et une lettre de recommandation. Mais il arrive souvent qu'un candidat, par contacts personnels ou recherche systématique suscite un sujet industriel qui sera co-encadré à l'université.
Le DEA est le diplôme requis pour une inscription en thèse (L'"autorisation de poursuivre" délivrée par le jury du DEA a une valeur d'engagement local mais son absence ne constitue pas un barrage administratif : un étudiant qui n'aura pas été autorisé sur Grenoble pourra trouver ailleurs un directeur de thèse et une université d'accueil.)
Les étudiants non titulaires du DEA qui souhaitent s'inscrire en thèse doivent faire la preuve qu'ils ont un niveau d'études équivalent (bac+5) et une première expérience de la recherche (mémoire rédigé ou publication). Leur dossier est examiné par la commission des titres et dispenses de l'établissement concerné. Cette commission se réunit habituellement en juillet et octobre.
Pour l'autorisation de soutenance, des inscriptions continues sont requises : pas question de ne s'inscrire qu'au moment de soutenir. A partir de la quatrième inscription, une dérogation devra être demandée, dûment motivée par le directeur.
L'intérêt de l'agrégation en mathématiques est de fournir des bases solides et larges, évitant ainsi que la formation ne fasse du doctorant un spécialiste extrêmement pointu, parfaitement ignorant des résultats les plus élémentaires qu'il aura à enseigner, ou à utiliser plus tard. D'un autre côté, pour se donner de bonnes chances de réussite à l'agrégation, il faudra consacrer un an complet à sa préparation, au détriment du travail de thèse. Pour un candidat engagé dans une thèse industrielle, l'agrégation sera sans doute inutile. Pour un autre, engagé sur un sujet plus théorique, elle complètera utilement sa formation et constituera un plus dans ses dossiers de candidature. Il est impossible de donner des directives précises. La décision ne peut être prise que par le doctorant lui-même, après concertation avec son directeur de thèse.
DSPT | 2 ans | 3 ans | 4 ans | 5 ans | 6 ans et + | Moyenne |
DSPT 1 | 43 | 264 | 270 | 106 | 53 | 3,81 |
DSPT 4.1 | 53 | 561 | 580 | 169 | 118 | 3,82 |
On constate de grosses différences dans les durées. La durée médiane s'établit à 3,2 ans en mathématiques et 3,1 ans en informatique. Les durées des thèses à Grenoble sont dans la moyenne nationale. Une durée de 3 ans est considérée comme raisonnable, surtout si le sujet a déjà fait l'objet d'un mémoire de DEA. Mais par exemple, pour un collègue étranger qui ne peut effectuer que de courts séjours en France, une quatrième voire une cinquième année pourront être nécessaires.
L'âge du candidat et les délais dans lesquels il a obtenu ses diplômes sont des critères importants au moment du recrutement. D'autre part, la plupart des financements sont prévus pour un maximum de trois ans. Une quatrième année devra donc être financée par un poste d'ATER ou tout autre emploi qui retardera d'autant la rédaction. Voici quelques quantiles de la distribution des âges des candidats à la soutenance. A titre de comparaison, l'âge moyen au recrutement des chargés de recherche CNRS en mathématiques est de 27,3 ans (l'âge limite pour les candidatures est de 30 ans).
Premier | Age | Troisième | Dernier | |
quartile | médian | quartile | décile | |
DSPT 1 | 27,5 | 29 | 31,3 | 35 |
DSPT 4.1 | 28,1 | 29,4 | 31,5 | env. 36 |
La principale qualité d'un chercheur est la curiosité, et son travail consiste, pour 90 % de son temps à apprendre, encore et toujours. Il ne faut pas hésiter à sortir le plus souvent, et le plus loin possible de son domaine d'expertise. Les avancées significatives isolées dans une spécialité sont rares. Très souvent, l'idée importante d'une thèse est un pont entre deux questions jusque-là déconnectées, ou bien l'application d'une technique classique dans un autre domaine. La diversité des idées brassées est une paramètre important dans le processus de maturation qui conduit au résultat principal.
L'ensemble des compétences qu'un doctorant doit acquérir ne se réduit pas aux seuls aspects scientifiques. Anglais, langages de programmation, recherche bibliographique, traitement de texte, rédaction, techniques de présentation orale, beaucoup d'autres compétences seront acquises au cours des années de thèse. L'essentiel de cet apprentissage se fera "sur le tas", avec l'aide de camarades ou du directeur de thèse. Pour l'anglais, ou les langages de programmation, suivre des cours peut être plus rapide. L'école doctorale peut aussi organiser de tels cours à la demande de groupes d'étudiants suffisamment motivés.
La première phase pourrait s'appeler l'"appropriation du sujet" . C'est une phase d'apprentissage et de recherche bibliographique intense.
La seconde phase est de longueur très variable, c'est la phase de "maturation" . C'est sans doute la période la plus difficile de la thèse. Le doctorant a souvent l'impression de "tourner en rond" et de ne pas avancer : le découragement le guette. Les remèdes à cette chute de moral sont des variations autour d'une idée commune, qui est de maintenir l'esprit occupé autour des mêmes thèmes pendant qu'il effectue, indépendamment de la volonté, son travail de connection. Tous les moyens sont bons : assister à des exposés, lire des articles, rédiger ce qui a déjà été compris, traiter des cas particuliers faciles, multiplier les calculs ou les tests sur ordinateur...
Puis se produit l'"illumination". Aboutissement de la maturation, elle est déclenchée de manière fortuite par une discussion, un article, un exposé. Elle peut arriver dans les lieux et aux moments les plus variés. En quelques semaines, voire quelques jours, le thèse est "terminée" : le noyau scientifique est trouvé et compris, tout s'éclaire.
Il ne reste plus dans la quatrième phase, de "mise en forme" , qu'à ordonner les idées, les relier aux travaux existants, ajouter des exemples et des tests numériques, rédiger un ou plusieurs articles et la thèse elle-même.
Tout au long de ces quatre phases, mais surtout au cours des deux premières, le directeur accompagne et soutient le doctorant. Son objectif est qu'il atteigne l'autonomie scientifique complète à la fin de la thèse. Il sera alors capable de formuler ses propres problèmes, de les résoudre et d'en publier la solution. Le suivi s'effectue lors de rendez-vous de fréquence variable, au cours desquels des objectifs à court terme sont fixés ou précisés. Peu espacés au début de la thèse (typiquement une fois par semaine), ces rendez-vous deviennent de moins en moins fréquents à mesure que l'étudiant acquiert son autonomie. Au début le directeur aidera l'étudiant dans ses recherches bibliographiques en lui fournissant quelques points d'entrée ou en lui expliquant le fonctionnement des bases de données. Il lui donnera des exemples simples à traiter. Des rapports de recherche partiels pourront être l'occasion de faire le point sur l'avancement des idées, ainsi que d'apprendre les techniques de rédaction.
Les publications sont un moyen d'évaluer la qualité du travail. Compte tenu des délais (fréquemment jusqu'à 2 ans après la soumission), il est peu réaliste d'exiger systématiquement une publication effective avant la soutenance. Cependant il est généralement admis qu'une thèse doit contenir la matière d'au moins une publication de niveau international. C'est le directeur ainsi que les rapporteurs qui décident que ce critère assez flou est satisfait.
L'importance des publications est moindre pour les thèses de type industriel. Pour les thèses académiques, la pression a augmenté ces dernières années au point qu'il y a maintenant peu d'espoir d'être recruté dans la recherche ou l'enseignement supérieur sans publication au moins acceptée, ou soumise avec des chances claires d'acceptation. Ceci pousse les doctorants à soumettre des travaux insuffisamment achevés, quitte à se rendre compte quelques mois plus tard que la publication devrait être réécrite. Il n'y a pas si longtemps, on recommandait de laisser un article achevé dans un tiroir pendant un an pour ne le soumettre que s'il avait résisté au temps. L'évolution actuelle est peut-être regrettable, mais elle est difficile à contrer sans pénaliser les doctorants.
Changer de sujet est un fantasme fréquent chez les doctorants en période de maturation. Il faut y résister, quitte à se changer temporairement les idées, en lisant autre chose, voire en prenant une semaine de vacances. Changer de directeur est encore plus déconseillé : on ne change pas de monture au milieu du gué. En règle générale, dans le cas d'un conflit qui laisserait une trace visible sur le dossier de candidature, il sera toujours difficile de faire admettre à une commission de recrutement ou à un DRH que les torts sont exclusivement du côté du directeur. Il en résultera inévitablement une évaluation fâcheuse des aptitudes du candidat aux relations individuelles.
Les allocataires MESR ont la possibilité de candidater à des postes de moniteur, pour un an renouvelable. Le monitorat comporte une obligation de 64 heures d'enseignement sur l'année, pour un complément de salaire d'environ 2000 F par mois. Pour ceux qui ne sont pas moniteurs, les UFR attribuent en général en début d'année un volant d'heures de vacations. Les doctorants peuvent en assurer dès leur première année de thèse, jusqu'à 96 heures par année universitaire. Ces vacations sont habituellement des heures de TD en première ou deuxième année.
TeX (et LaTeX ) se sont imposés comme standards, ils permettent de produire des "manuscrits" d'une qualité inimaginable il y a 15 ans. Le soin apporté à la rédaction, la correction orthographique et grammaticale, une présentation claire et harmonieuse sont autant d'éléments positifs. Il ne faut pas s'imaginer que le document ne sera pas lu. Même s'il ne vérifie pas à fond tous les détails, le rapporteur d'un dossier se rend aisément compte du niveau du travail et de la qualité de la rédaction. La précision des références et des liens avec la littérature sont un critère de qualité qui est également très facile à évaluer.
Les traitements de texte ont aboli les réécritures laborieuses de versions successives. Le doctorant doit néanmoins s'attendre à de nombreuses corrections sur sa version initiale, après ses propres relectures, plusieurs passages du directeur et les commentaires des rapporteurs.
Le directeur ne décide de soumettre la thèse aux rapporteurs que s'il considère qu'elle est prête pour la soutenance. Sauf conflit grave, il n'est pas envisageable que les rapporteurs envoient à l'université des rapports négatifs. Il est par contre assez fréquent qu'ils détectent certains problèmes qui nécessiteront de nouvelles corrections, voire dans les cas les plus graves, de retarder la soutenance. Les rapports sont donc toujours favorables, avec des nuances entre simplement favorable et enthousiaste.
L'établissement demande un délai de 3 semaines entre l'arrivée des rapports et la soutenance, pour délivrer l'autorisation et convoquer officiellement le jury. Il est raisonnable de laisser au moins un mois aux rapporteurs pour lire la thèse et rédiger leur rapport. Une fois le manuscrit envoyé le doctorant peut se consacrer à l'écriture d'articles et à la préparation de son exposé.
Puis le jury se retire pour "délibérer". Le temps paraît long mais le jury a trois choses importantes à faire. Il doit remplir et signer les documents administratifs, décider de la mention et rédiger le rapport de soutenance. La répartition des mentions est extrêmement fluctuante. Actuellement, la mention "honorable" est considérée comme une sanction rare. La mention "très honorable" est la règle. La mention "très honorable avec félicitations" doit rester exceptionnelle (de l'ordre de 10 %). Elle ne peut être délivrée par le jury qu'après un vote unanime à bulletins secrets. Dans la rédaction du rapport de soutenance, chaque mot est soigneusement pesé, de manière, là encore, à introduire des nuances favorables au candidat, au-delà de la délivrance du diplôme.
Puis le jury revient, le président annonce l'heureuse quot;nouvelle", le candidat est félicité par tout le monde, il ne reste plus qu'à boire.
Plutôt que de continuer sur les généralités, voici les chiffres du ministère sur le devenir des docteurs 95 (situation observée en février 96) en mathématiques et informatique.
DSPT 1 | DSPT 4.1 | |
Post-doc | 29 | 81 |
ATER | 93 | 155 |
Ens. Sup. (hors ATER) | 49 | 86 |
Organismes de recherche | 25 | 40 |
Entreprises | 16 | 142 |
Administration | 5 | 10 |
Enseignement secondaire | 17 | 13 |
Service national | 7 | 10 |
Sans emploi | 35 | 74 |
TOTAL (devenirs connus) | 276 | 611 |
Le dossier doit être complet. Outre le CV, il doit comporter au moins les rapports sur la thèse et le rapport de soutenance ainsi qu'une lettre de recommandation du directeur. Selon le cas, les publications seront jointes ou non. Si une publication est annoncée comme acceptée, il n'est pas mauvais de joindre la lettre d'acceptation. L'exagération (sans parler de la fraude) même si elle n'est que soupçonnée fait toujours mauvaise impression. Mais la modestie excessive n'est pas non plus conseillée.
Toute candidature doit être soigneusement préparée. Il est bon de faire relire le dossier par un tiers expérimenté, directeur de thèse ou autre. Les auditions doivent être répétées, également avec l'aide d'un tiers. On doit également avoir pris contact avec l'ABG. Ce n'est pas uniquement question d'amélioration de la qualité, il s'agit aussi, par une préparation minutieuse, de donner l'impression d'une forte motivation.
La préparation d'une candidature de type académique peut se faire aisément dans le cadre universitaire. Les candidatures dans le secteur privé sont plus difficiles dans la mesure o\`u le candidat connaît souvent mal le monde industriel. Préparer les doctorants à candidater en entreprise est l'objectif des Doctoriales, crées par l'ABG et l'ADR, et soutenues sur une plus grande échelle par le ministère depuis 96. L'école doctorale peut aider quelques étudiants à participer à ces séminaires. Un stage en entreprise peut également constituer une bonne introduction au monde industriel.
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