INTRODUCTION GÉNÉRALE

      La formation en méthodologie de la recherche est une nécessité pour les futurs chercheurs en sciences de l'éducation. La méthodologie consiste en un ensemble de "règles de jeu" à partir desquelles la crédibilité des recherches peut être établie. La confrontation des idées à l'intérieur de la communauté scientifique est nécessaire au développement de la connaissance, mais elle doit donc se faire en tenant compte de ces règles. Cependant, ces "règles de jeu" ne sont pas des principes concrets immuables constituant une marche à suivre déterminée et valable pour toutes les recherches.  Il s'agit plutôt de principes plus ou moins abstraits permettant de guider le chercheur dans la planification et la conduite d'une recherche crédible auprès de la communauté scientifique. De plus, ces principes sont basés sur une logique inspirée de différents courants épistémologiques qui s'affrontent. Ainsi, l'apprentissage de la méthodologie de la recherche n'est pas seulement l'apprentissage d'un savoir-faire au niveau technique mais, également et surtout, la compréhension de discours sur les méthodes et les techniques qui permettent de conduire une recherche vraisemblable et de participer aux débats inhérents au développement de la connaissance.

      Aux études supérieures en sciences de l'éducation, la formation méthodologique est assurée par la participation des étudiants à différentes activités : un cours de méthodologie de la recherche, un séminaire de recherche permettant une meilleure intégration des connaissances acquises lors du cours, ainsi que la planification et la conduite de la recherche elle-même, sous la supervision d'un directeur, ainsi que la rédaction d'un rapport ( mémoire ou thèse). La présente recherche s'intéresse aux débuts du processus de formation méthodologique, soit au cours de méthodologie de la recherche qui, en principe, est suivi par les étudiants en début de scolarité. Beaucoup d'étudiants éprouvent des difficultés dans l'apprentissage de la méthodologie. Cependant, outre le constat de problèmes généraux tels la quantité de termes nouveaux auxquels sont confrontés les étudiants ou le niveau d'abstraction conceptuel de la matière, on connaît mal les difficultés précises des étudiants, de même que leur origine et les raisons possibles de leur apparition. Pourtant, la connaissance de ces difficultés constitue le point de départ d'une réflexion et d'une action visant à favoriser un apprentissage efficace et durable de la méthodologie de la recherche.

      La présente recherche a pour but d'identifier les difficultés d'étudiants lors d'un cours de méthodologie de la recherche aux études supérieures en éducation. Plus particulièrement, la recherche s'attarde à l'apprentissage de ce que nous avons appelé les "critères de rigueur méthodologique", qui regroupent les concepts de fidélité et de validité des données, de validité interne et externe, d'objectivité, ainsi que des critères latents ou implicites d'estimation de la validité d'une recherche, soient des critères de pertinence et de rationalité. Ce choix s'explique par le fait que ces critères constituent le noyau de toute la question de la crédibilité scientifique de la recherche. Peu importe l'épistémologie du chercheur et le type de méthode utilisé, ce dernier est toujours confronté au respect de ces critères.  De plus, ces critères comportent une difficulté particulière puisque, bien que leur signification générale demeure semblable d'un contexte à l'autre, les techniques permettant de s'assurer de leur respect sont très différentes selon les orientations et les méthodes choisies.  

      Les critères de rigueur méthodologique sont des concepts qui ne font pas l'objet de consensus à travers la communauté scientifique et leur enseignement est teinté par l'épistémologie du professeur. De plus, les manifestations de difficultés et les erreurs sont médiatisées par le contexte de la communication pédagogique et elles peuvent difficilement être étudiées en soi, sans référence à ce contexte. Ainsi, l'étude des difficultés d'apprentissage des étudiants par rapport à cette matière ne peut se faire qu'en référence à une situation particulière d'enseignement, dans laquelle ces concepts ont été opérationalisés et enseignés par le professeur. Le diagnostic des difficultés a ainsi été effectué à partir d'une situation réelle d'apprentissage, soit le plus près possible des activités normales des séances de cours.

      Ainsi, l'enjeu de cette recherche est nomothétique, au sens où elle se propose d'explorer les difficultés d'apprentissage dans le but de contribuer à une construction théorique dans le domaine de l'apprentissage et de l'enseignement de la méthodologie. Mais cette recherche comporte également une visée pragmatique. En restant proche de la situation d'apprentissage et d'enseignement réel, en tentant de tenir compte des contraintes de cette situation, cette recherche voudrait permettre de solutionner certains problèmes de la pratique de l'enseignement de la méthodologie.

      Afin de tenir compte des finalités poursuivies, nous avons développé une démarche particulière qui voulait tenir compte des exigences de la recherche nomothétique, mais qui devait également aboutir à des pistes de solutions utiles au professeur. La démarche comporte essentiellement deux étapes. Une première étape était constituée de phases successives de recueil et d'analyse de données sur le terrain. Cette première phase a dû s'ajuster aux contraintes et exigences liées à la situation de classe réelle. Une deuxième étape se situait hors du terrain et comportait le traitement des données, afin d'identifier et de décrire les difficultés éprouvées par les étudiants et leur contexte d'apparition. Cette phase comportait également une phase d'interprétation de l'origine des difficultés, afin d'être en mesure de comprendre leur apparition et de proposer des stratégies pédagogiques afin de les résoudre. Ainsi, la phase de recueil de données se voulait proche de la pratique réelle d'enseignement et cohérente par rapport aux contraintes auxquelles était confronté le professeur. Comme nous le verrons, cette démarche comporte des avantages certains, mais elle est confrontée également à certaines limites.

      La présente recherche a permis de mettre à jour un certain nombre de difficultés d'apprentissage des critères de rigueur méthodologique chez des étudiants aux études supérieures en éducation. L'interprétation de l'origine de ces difficultés a permis également de mieux comprendre leur apparition et, ainsi, de proposer des stratégies pédagogiques afin d'éviter ou de résoudre ces difficultés d'apprentissage. Ces difficultés nous conduisent également à nous interroger sur le profil de formation méthodologique offert en sciences de l'éducation ainsi que sur sa pertinence. Plus encore, cette réflexion nous permet de questionner le rôle et la légitimité même de la recherche en éducation et d'affirmer la nécessité d'une réflexion à ce sujet afin de déterminer les profils de formation méthodologique et les finalités qui seront privilégiées.

      Le présent rapport se divise en cinq parties. Le premier chapitre décrit brièvement le problème abordé dans cette recherche. Il y est question notamment de la nécessité d'une formation méthodologique pour les jeunes chercheurs, mais également des difficultés générales qu'éprouvent les étudiants à traverser cette formation. Le deuxième chapitre définit les limites à l'intérieur desquelles se situe le problème. Il sera question d'abord de l'objet de la recherche, c'est-à-dire, le diagnostic des difficultés d'apprentissage des critères de rigueur méthodologique chez des étudiants non initiés à la recherche, puis des différents présupposés qui déterminent, en partie, l'orientation et l'organisation de cette recherche. Ce chapitre se termine sur une description plus précise du contexte d'enseignement observé lors de la recherche.

      La seconde partie de ce document présente notre cadre conceptuel, divisé lui-même en deux sections: l'une concernant le triangle pédagogique et l'autre concernant le concept de représentation. D'abord au troisième chapitre, une définition de la situation pédagogique, suivie d'une discussion sur les différentes relations possibles entre les trois pôles d'un triangle pédagogique (élève-professeur-savoir). La relation entre les pôles de ce triangle est d'abord analysée d'une façon générale, puis dans le cadre de l'enseignement universitaire et finalement, dans le contexte de la présente recherche, soit l'enseignement de la méthodologie de la recherche. Le quatrième chapitre est consacré au concept de représentation, concept central à l'intérieur de cette recherche. Afin de mieux comprendre la signification de ce concept largement utilisé dans divers secteurs et de mieux cerner les possibilités de son utilisation en pédagogie, nous avons effectué une revue de la littérature sur ce sujet dans divers domaines. Ce chapitre se termine par un transfert de ce cadre conceptuel au contexte de notre recherche, afin de mieux cerner de quelle façon l'utilisation du concept de représentation peut être profitable à l'intérieur de cette recherche.

      La troisième partie de ce rapport concerne la méthode utilisée dans cette recherche. Le cinquième chapitre présente les questions de recherche ainsi que la démarche suivie. Par la suite, le sixième chapitre présente chacun des outils de recueil de données. Il est question d'abord de leur procédure de construction, des bases de leur élaboration et finalement, de leur contenu spécifique,et finalement, du résultat des contrôles de validation des données qui ont précédé l'étape de traitement et d'interprétation des données.

      À cause de la démarche itérative suivie pendant la recherche, il nous fut difficile de rédiger une présentation de la méthode qui soit légère et agréable à lire. La difficulté vient du fait que la démarche nécessite, pour être claire, une description des outils de recueil de données utilisés, alors que ces outils ne trouvent leur justification que dans le contexte de la démarche elle-même. Ainsi, la démarche et les outils auraient nécessité une présentation simultanée alors que la rédaction ne permet qu'une présentation linéaire. Plusieurs versions différentes de la méthodologie ont été rédigées, certaines plus didactiques d'autres moins, mais elles comportaient toutes des inconvénients. La version retenue restitue, à notre avis, le plus précisément possible, la démarche suivie pendant la recherche. Essentiellement, nous avons présenté d'abord la démarche générale, pour ensuite reprendre cette dernière, étape par étape, outil par outil. Inévitablement, la présentation n'a pu éviter les redondances essentielles afin que le lecteur ne perde pas de vue la démarche générale de la recherche.

      La quatrième partie concerne les résultats de la recherche. Le huitième chapitre présente les six catégories de difficultés observées chez les étudiants. Les difficultés sont décrites et analysées en rapport avec le contenu du cours de méthodologie, puis, leur origine est interprétée afin de mieux comprendre les raisons possibles de leur apparition. Le neuvième chapitre présente des stratégies pédagogiques ponctuelles pouvant être utiles pour éviter ou résoudre les difficultés observées, tout en respectant l'organisation actuelle du cours.

      Finalement, la cinquième et dernière partie se veut une réflexion méthodologique sur les limites de la recherche, sur son utilité, ainsi que sur la pertinence de la formule de cours en méthodologie et les recherches futures qui seraient utiles. Nous nous interrogeons d'abord sur les difficultés liées à la poursuite de deux finalités a priori contradictoires, l'enjeu nomothétique et l'enjeu pragmatique. Par la suite, nous nous interrogeons sur l'utilité des résultats de la recherche ainsi que sur celle de la démarche suivie, tant pour les chercheurs en éducation que pour les professeurs de méthodologie eux-mêmes.


PARTIE I: PROBLÉMATIQUE


CHAPITRE 1er: LE PROBLÈME

      La recherche est une activité exigeante qui requiert de multiples habiletés. Le chercheur doit, en effet, savoir administrer, organiser, gérer et créer des projets par exemple, mais il doit aussi avoir des habiletés de communication orale et écrite et il doit, évidemment, avoir une bonne formation dans le domaine de sa recherche de même qu'en méthodologie de la recherche.

      La recherche est une pratique qui se base sur l'utilisation de certains principes destinés à guider le chercheur dans son investigation et qui sont regroupés dans une discipline que l'on appelle la méthodologie de la recherche. Selon Van der Maren (1988a), la méthodologie de la recherche serait:

" ...un discours tenu à propos
* d'un ensemble d'opérations systématiquement et rationnellement
enchaînées
* afin de relier avec consistance

- l'intention, le but, l'objectif de la recherche
- la manière de poser le problème
- les techniques de constitutions du matériel et leur validation
- les techniques de traitement transformant les données en résultats
- les procédures d'interprétation des résultats et leur vérification
- la justification des différents choix

*afin de répondre aux critères formels et opérationnels auxquels elles doivent s'astreindre pour se voir accorder la crédibilité recherchée. " 1 

      Bien qu'une partie du savoir nécessaire au chercheur consiste en habiletés qui se développent par la pratique (organisation, souplesse, gestion, etc.), le savoir méthodologique est constitué de principes et de règles qui s'acquièrent généralement par le biais de cours, de manuels, etc. Tous les chercheurs ont reçu, d'une manière ou d'une autre, une formation de base en méthodologie de la recherche.

      La formation méthodologique des futurs chercheurs est une nécessité, ne serait-ce que pour éviter au jeune chercheur naïf les tracas et malheurs que lui causerait l'utilisation d'une méthode par essai et erreur (diplôme refusé, critique des collègues, reprise des travaux, retards, etc.). En effet, les résultats seuls d'une recherche ne permettent pas au chercheur d'avoir de l'information sur leur validité et de réajuster sa méthode en conséquence comme cela pourrait être le cas, par exemple, d'un individu qui voudrait construire un moteur. Si le moteur fonctionne, sa méthode est efficace, sinon, elle doit être modifiée. Les résultats d'une recherche en eux-mêmes ne constituent pas une garantie de leur validité. La formation des jeunes chercheurs est donc nécessaire pour assurer la crédibilité des résultats de la recherche en éducation. En effet, la crédibilité est une affaire de consensus social. Une recherche n'est pas crédible en soi. Elle ne l'est, aux yeux des autres, que si elle respecte ce qu'habituellement ces "autres" attendent d'une recherche crédible. Sans ces "autres", pas de crédibilité. Si ces derniers croient à l'absurdité des résultats obtenus dans un secteur donné, il serait surprenant que ce chercheur réussisse à obtenir un quelconque crédit. Ainsi, la connaissance des règles de jeu méthodologique est essentielle en recherche. En plus de miner la crédibilité du chercheur, Baby (1992) affirme qu'une formation du genre "learning-by-doing" peut amener des problèmes de dépendance intellectuelle. Elle rendrait les jeunes chercheurs moins autonomes, plus vulnérables et plus susceptibles de se réfugier dans des "chapelles".

      En sciences de l'éducation, certains cours de méthodologie de la recherche sont obligatoires pour les étudiants en début de maîtrise ou de doctorat et sont généralement recommandés en début de formation. Pourtant ces cours sont peu populaires auprès des étudiants, ces derniers étant plus intéressés par le domaine de leur sujet de recherche que par la méthodologie, considérée souvent comme un mal inévitable. L'apprentissage de la méthodologie de la recherche est souvent difficile et pénible pour les étudiants novices et les cours de méthodologie de la recherche sont considérés comme des cours difficiles dont la réussite demande un effort important.

      Les principales difficultés se situent généralement au niveau de la terminologie utilisée en méthodologie de la recherche, de la complexité des concepts utilisés et de la diversité de leur signification. Les étudiants non initiés doivent acquérir un très grand nombre de termes et de concepts nouveaux en peu de temps et ils sont confrontés à des concepts très abstraits et complexes. La méthodologie de la recherche comporte en effet certains aspects techniques, telle la description des différentes techniques de recueil ou d'analyse de données, que l'étudiant doit connaître. De plus, le choix de la démarche et des techniques utilisées et leur articulation ainsi que la nécessité d'une cohérence et d'une validité au niveau de l'ensemble d'une recherche, exigent des connaissances et des compétences au niveau de la réflexion théorique et épistémologique qui sont aussi difficiles à acquérir. Cette compétence au niveau épistémologique se révèle encore plus nécessaire en sciences humaines et sociales où coexistent plusieurs options théoriques et épistémologiques, parfois plus ou moins déclarées, mais pourtant bien réelles. Dans une étude qui portait sur la signification du concept de validité utilisé dans des manuels de méthodologie et dans des entrevues auprès de chercheurs en éducation  2  , nous avons constaté une diversité importante dans la signification attribuée à des concepts tels que la validité des mesures, la fidélité des mesures, l'objectivité, la validité interne, la validité externe et la crédibilité. De plus, selon une étude de Van der Maren (1990a) , la recherche en éducation au Québec serait polymorphe en ce qui concerne les méthodologies utilisées. D'ailleurs Pourtois et Desmet (1988) arrivent à une conclusion semblable lorsqu'ils constatent que la distinction entre qualitatif et quantitatif est caduque et que les méthodes de recherches utilisées en éducation sont beaucoup plus éclectiques.

      Finalement, les étudiants ont souvent de la difficultés à faire des liens entre les différents discours épistémologiques, méthodologiques ou techniques et leur application dans la pratique réelle de recherche. Aussi, ils réussissent difficilement à répondre aux questions d'examen qui exigent d'eux plus qu'un simple rappel de l'information telle qu'ils l'ont vue en classe.

      Les professeurs de méthodologie qui enseignent à des étudiants novices sont conscients de ces problèmes. La diversité des orientations méthodologiques et épistémologiques dans le secteur de la recherche en sciences de l'éducation, la polysémie des concepts utilisés, la terminologie abondante et nouvelle, la complexité des concepts, le niveau d'abstraction élevé et la difficulté de transférer ces concepts à la pratique réelle de recherche, voilà autant d'obstacles auxquels sont confrontés les étudiants des milieux universitaires en sciences de l'éducation qui désirent s'initier à la méthodologie de la recherche. Mais voilà, de fait, un diagnostic du problème qui aide bien peu les professeurs à améliorer leur enseignement.

      On connaît mal les difficultés précises des étudiants dans leur apprentissage de la méthodologie et on connaît encore moins ce qui peut causer ces difficultés. Pourtant, un diagnostic plus précis des difficultés des étudiants de même qu'une réflexion sur l'origine possible de ces difficultés pourraient guider efficacement les professeurs dans leur enseignement de la méthodologie et faciliter la tâche des étudiants. C'est la raison pour laquelle l'objectif de notre recherche est essentiellement orthopédagogique en ce sens qu'elle s'intéresse au " diagnostic" des difficultés dans l'apprentissage de la méthodologie. Par "diagnostic", nous entendons une action qui vise à identifier les difficultés, à synthétiser un ensemble d'informations au sujet du contexte de leur apparition, afin d'émettre des hypothèses sur leur origine. Par la suite, la perspective orthopédagogique 3  proposera des pistes d'actions visant à corriger ces difficultés, à les éviter ou éliminer leurs causes.


CHAPITRE 2: DÉLIMITATION


2.1 L'objet de la recherche

      Notre intérêt concerne le diagnostic des difficultés éprouvées par des étudiants en sciences de l'éducation dans leur apprentissage de la méthodologie de la recherche. La population étudiante considérée ici est composée d'étudiants de second ou de troisième cycle qui envisagent de conduire une recherche menant à un diplôme de M.A. ou de Ph.D en éducation. Puisque l'apprentissage de la méthodologie de la recherche est difficile pour les étudiants, nous nous proposons de travailler à l'amélioration de son enseignement. Nous croyons qu'il est possible de présenter un contenu méthodologique complexe de manière à faciliter la tâche des étudiants, sans qu'il faille altérer ou diminuer le niveau ou la quantité de matière à l'intérieur d'un cours. Toutefois, on connaît peu ou pas du tout, les difficultés des étudiants dans l'apprentissage de la méthodologie, mais l'on sait, par ailleurs, que la conception qu'ils ont de la science en général, aussi bien que de la méthodologie, interfère avec cet apprentissage. Il est également bien difficile de voir quelle structure et quelle organisation du contenu permettraient de prévenir certaines difficultés afin d'en rendre l'apprentissage plus facile.

      Dans le cadre de cette recherche, nous nous sommes restreint à étudier les difficultés liées à l'apprentissage de ce que l'on appelle généralement les "critères de rigueur méthodologique". Il s'agit, en fait, des concepts de fidélité et de validité des données, de validité interne et externe, d'objectivité, auxquels nous ajouterons des critères "latents" ou "implicites" d'estimation de la validité d'une recherche, soient des critères de pertinence et de rationalité. Le choix de ces concepts s'explique par le fait que ces derniers nous semblent actuellement malmenés dans le secteur de la recherche en éducation et qu'ils peuvent donc poser des difficultés particulières aux étudiants. Plusieurs définitions et significations différentes de ces concepts sont véhiculées dans divers domaines de recherche en éducation et le consensus est inexistant, sauf en ce qui a trait à un noyau commun, relativement général, à partir duquel sont élaborées des définitions spécifiques à un domaine ou à une épistémologie particulière. De plus, c'est à partir de ces critères qu'un certain crédit est accordé aux travaux des chercheurs. Une excellente compréhension de la signification de ces critères et de ce qu'ils impliquent est donc, à notre avis, un préalable pour être chercheur. Pour simplifier et éviter la répétition, nous avons regroupé ces termes sous l'expression plus générale de "critères de rigueur méthodologique".


2.2 Les présupposés

      En premier lieu, il nous semble important de situer notre conception de l'éducation. Étant dans le domaine de l'éducation intéressée par des recherches de type pédagogique, l'orientation de cette recherche, ses objectifs de même que les stratégies méthodologiques mises en place sont inévitablement teintés par notre conception de l'éducation. Nous n'avons pas cru bon de nous étendre très longuement sur ce sujet, l'objectif n'étant pas de convaincre le lecteur ou de justifier le bien-fondé de nos positions, mais simplement de le situer, de lui permettre de comprendre l'orientation de cette recherche ainsi que certains des choix qui y sont faits.


2.2.1 Conception de l'éducation

      Nous croyons que l'enseignant, à tous les niveaux, se voit attribuer un mandat. Il doit enseigner selon un programme plus ou moins précis, il a certains moyens pédagogiques, un certain nombre d'heures de classe , un certain nombre d'étudiants et une administration plus ou moins rigide qui organise son milieu de travail. L'enseignant doit s'assurer que les étudiants acquièrent un certain nombre de savoirs, de savoir-faire, de savoir être et de valeurs que nous ne contesterons pas. Ceci ne signifie nullement que les éléments du mandat donné aux enseignants sont incontestables et qu'il s'agit d'un mandat idéal. Toutefois, l'enseignant ne peut modifier son mandat au jour le jour et selon son bon vouloir, il n'a pas ce pouvoir. Il peut certes participer à son amélioration, mais à d'autres instances que celle où il oeuvre tous les jours auprès de ses étudiants.

      Cette analyse nous place à l'intérieur de modèles de pédagogie que l'on dit normatifs ou traditionnels qui font partie du paradigme que Bertrand et Valois(1980) appellent "rationnel". Les modèles de ce paradigme conçoivent l'école comme une agence de socialisation qui transmet des connaissances et attitudes acceptées par les enseignants et les élèves. Il existe donc un ensemble de normes qui ont trait à la culture et au contenu d'enseignement, qui sont acceptées par les acteurs du système scolaire. Notre conception de la pédagogie a également des affinités avec le paradigme que Bertrand et Valois(1980) appellent "technologique". Selon ces auteurs, les modèles issus de ce paradigme s'intéressent à l'efficacité de l'enseignement plutôt qu'aux finalités sociales, culturelles ou politiques de l'éducation. Comme mentionné au paragraphe précédent, nous ne remettons pas en question le mandat donné aux enseignants, sans toutefois l'approuver à tous les égards. En fait, nous avons des intérêts plus pragmatiques que philosophiques ou politiques, bien que la non-remise en question de ce système constitue malgré tout une acceptation implicite de ce dernier. Nous nous intéressons donc aux stratégies permettant d'optimaliser l'apprentissage des connaissances qui sont proposées dans les différents programmes. Les questions concernant les valeurs véhiculées par l'école et la pertinence du mandat qui est attribué à l'enseignant nous préoccupent évidemment, mais dans un cadre autre que celui de cette recherche.

      Au niveau des études supérieures, le problème du contenu des programmes se pose différemment. Il est vrai que le professeur d'université bénéficie d'une marge de manoeuvre plus grande par rapport au contenu de ses cours. Il est vrai également que, lorsque l'on accède au niveau des études supérieures, l'écart entre la "science en construction" et la "science établie" 4  est plus restreint. Bireaud (1990) mentionne que le rôle de l'université est de transmettre le savoir de la science "en train de se faire". Le mandat de l'enseignant est donc moins précis et ne se limite plus à l'enseignement du savoir faisant l'objet d'un consensus. Le choix du contenu à enseigner est alors fonction de plans de cours cadres, mais aussi des options théoriques du professeur et des recherches en cours. Mis à part le sujet traité, il y a donc rarement concertation entre les professeurs qui enseignent un même cours, puisque ces derniers peuvent avoir des options théoriques différentes.

      Il n'en reste pas moins que, dans la plupart des cas, le contenu à enseigner est déterminé avant l'enseignement. Que ce dernier le soit par un programme, par un plan de cours ou par l'ensemble des positions théoriques et épistémologiques du professeur, avant le début de chaque cours, le professeur sait dans quelle direction il désire amener ses étudiants, il connaît le contenu du cours qu'il enseignera, il sait plus ou moins précisément sur quoi portera son évaluation. Le professeur doit donc s'assurer que ses étudiants auront acquis ce contenu. Son action pédagogique est donc fonction du contenu déterminé au préalable et de différentes contraintes tel le temps disponible pour l'enseignement, le nombre d'étudiants, etc. Nous en revenons donc au paradigme technologique. Après avoir fixé les objectifs en rapport avec un contenu de cours, comment enseigner ce contenu en tenant compte de contraintes diverses et ce, de la façon la plus efficace ?


2.2.2. Conception épistémologique

      Il existe des similitudes entre notre conception de l'éducation et notre conception de la recherche, en ce qui a trait à l'intention sous-jacente à ces pratiques. Notre conception épistémologique est teintée d'un même pragmatisme, puisque nous sommes intéressée par les recherches pédagogiques, c'est-à-dire à propos de la pédagogie et au service des pédagogues. Bien sûr, la recherche ne doit pas viser uniquement la résolution de problèmes de la pratique sans aucune contribution à l'avancement de la connaissance.

      Nous situons notre conception épistémologique dans l'espace de recherche que Van der Maren (1990b) appelle " l'espace pragmatique" et qu'il définit comme étant l'espace de la résolution des problèmes de la pratique. Les recherches de ce genre ne se poseraient pas la question de la définition des valeurs et des objectifs à atteindre, mais travailleraient à partir de ceux du milieu. L'espace pragmatique ne s'intéresserait pas à la construction de théories, c'est-à-dire au développement de la connaissance en tant que telle. La priorité reste donc la résolution de problèmes de la pratique, bien que les recherches entreprises dans cet espace puissent être la source du développement d'une théorie. Cependant, la résolution de problèmes de la pratique est un objectif louable en soi, mais insuffisant pour que l'on puisse parler de recherche. La différence entre développement et recherche ou entre action et recherche, se situe dans la préoccupation de dissémination non seulement des résultats mais aussi de la description de la situation et des processus qui ont conduit à ces résultats. Pour que l'on puisse parler de recherche, il faut qu'il y ait construction de nouvelles connaissances et possibilité de transfert de ces connaissances dans d'autres situations, que ces connaissances concernent un objet théorique ou encore une méthode de recherche. L'objectif peut également être double: améliorer la compréhension d'un phénomène et résoudre un ou des problèmes de la pratique. Pour cela, il est donc essentiel que les recherches qui s'inscrivent dans l'orientation pragmatique aient comme point de départ un problème pratique réel et qu'elles soient menées sur le terrain même où est vécu le problème, avec toutes les contraintes inhérentes au milieu.


2.3 Cadre de la recherche

      Cette recherche a été effectuée dans le cadre d'un cours de méthodologie, un professeur de la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université de Montréal, M. Jean-Marie Van der Maren, ayant accepté de participer à cette recherche. Les sujets de la recherche sont issus d'un de ses groupes d'étudiants de niveau maîtrise et doctorat inscrits au cours ETA 6032: Problématiques et méthodes de recherche en éducation. Les étudiants inscrits à ce cours sont relativement novices par rapport aux méthodes de recherche en éducation, puisqu'il s'agit d'un premier cours sur les méthodes de recherche et non d'un cours avancé. Le cours ETA 6032 est un cours de 3 crédits, soit 45 heures, et l'évaluation de l'apprentissage des étudiants a été effectuée à l'aide de deux examens composés de questions à choix multiples et d'une question à développement long (examen intra-trimestriel et examen final).


2.3.1 Description d'une séance de cours

      L'ensemble du cours était basé sur des textes rédigés par le professeur. Un ou plusieurs chapitres devaient être lus et étudiés par les étudiants avant la séance de cours. La lecture des chapitres était guidée par une ou plusieurs questions posées par le professeur. Les questions suivantes étaient données aux étudiants avant la lecture des chapitres qui nous intéressent dans cette recherche:

  • A quelles références - cours antérieurs, expériences, projets actuels - avez-vous fait appel pour combler les lacunes du texte, pour le comprendre ?
  • Quelles applications, inférences ou développements pouvez-vous faire dans d'autres cours, expériences, projets de recherche, lectures académiques ou professionnelles ou situations pratiques ?
  • Quels sont les problèmes qui restent en suspens (compréhension, désaccord) et voyez-vous des solutions ?

      Pendant la séance de cours, deux formules pédagogiques étaient privilégiées selon les besoins ou les demandes des étudiants, le cours magistral et la discussion en grand groupe à partir des questions guides ou à partir de questions spontanées ou préparées par les étudiants suite à leur lecture. Ainsi, le contenu des textes à l'étude n'était pas repris intégralement dans le cours, seuls les passages ou les concepts ayant causé des difficultés aux étudiants faisaient l'objet de discussion.


2.3.2 Matériel utilisé pour le cours

      Puisqu'il s'agit d'une situation réelle, nous avons évidemment fonctionné à partir du matériel utilisé par le professeur. Le manuel de base du cours était constitué d'un ensemble de textes rédigé par le professeur. Deux chapitres concernaient la rigueur méthodologique. Le chapitre 5 intitulé:" La rigueur méthodologique" et le chapitre 8 intitulé:" Les démarches empiristes d'une recherche nomothétique", qui concernait plus particulièrement l'application, ou le respect de la rigueur méthodologique. La présente recherche s'articule donc autour de difficultés d'acquisition, par les étudiants, du contenu de ces deux chapitres de cours. Il faut noter au passage que ces notes de cours ont été retravaillées à plusieurs reprises par le professeur, jusqu'à la publication d'un ouvrage complet sur la question 5  . La présente recherche a utilisé le même matériel que les étudiants, soit la version des notes de 1992-93.


2.4 Perspective et questionnement

      La perspective utilisée pour cette recherche pourrait être qualifiée d' "orthopédagogique" au sens où elle se propose d'identifier un certain nombre de difficultés éprouvées par les étudiants dans leur apprentissage des critères de rigueur. Il s'agit donc d'une phase diagnostique où nous mettons en relation les obstacles ou les difficultés manifestées par les étudiants avec les caractéristiques du contexte à l'intérieur duquel se sont manifestées ces difficultés.

      L'identification des difficultés des étudiants à l'intérieur d'un seul cours ne peut cependant se révéler intéressante en recherche, que dans la mesure où elle sert de point de départ à une réflexion plus large sur les obstacles à l'apprentissage des critères de rigueur méthodologique. Ainsi, outre l'identification des difficultés, des obstacles et du contexte de leur apparition, nous nous interrogerons de façon plus globale sur les problèmes d'apprentissage de la méthodologie ainsi que sur sa pédagogie.


PARTIE II: CADRE CONCEPTUEL


CHAPITRE 3: LE TRIANGLE PÉDAGOGIQUE

      Afin de mieux conceptualiser le champ à l'intérieur duquel nous effectuerons notre étude, nous regarderons de plus près les éléments qui constituent la situation éducative, les différents triangles qui permettent de réfléchir aux relations entre ces éléments, ainsi que les relations qu'entretiennent ces éléments entre eux et qui permettent de mieux définir le cadre de notre recherche.


3.1 La situation scolaire

      L'acquisition d'un savoir peut s'effectuer à l'intérieur de différentes activités. En ce qui nous concerne, nous sommes intéressée par l'apprentissage et l'enseignement du savoir à l'intérieur du cadre scolaire. Selon Herbert (1972), la situation scolaire peut être définie comme suit:

"1° un seul adulte
2° est en rapports réguliers
3° avec un groupe
4° d'enfants
5° dont la présence est obligatoire" 6 

      La situation scolaire comporte donc cinq éléments. Le premier élément mentionné est "un adulte" ou l'enseignant. En fait, ce n'est pas l'enseignant qui peut être étudié mais plutôt son enseignement, c'est-à-dire toutes les stratégies (y compris les outils pédagogiques) qu'il utilisera pour enseigner le contenu. Le deuxième élément mentionné est le "contact régulier" entre l'enseignant et les étudiants. Cet élément ne peut être modifié puisqu'il fait partie des contraintes du mandat donné à l'enseignant. En troisième lieu, Herbert spécifie que l'enseignant s'adresse à un "groupe". Il n'est évidemment pas question d'exclure qu'une activité éducative puisse avoir lieu par le contact avec une seule personne. Cependant, la situation éducative entendue ici est une situation "de classe" où l'enseignant doit faire face à un groupe dont la taille et la composition est régie par des règles qui sont hors de son contrôle direct. En quatrième lieu, il est question des "enfants" en l'occurrence des enfants, adolescents ou adultes selon la clientèle à qui l'enseignant s'adresse. Le cinquième élément est la "présence obligatoire" des étudiants qui est aussi une contrainte avec laquelle il faut composer. Au niveau post-secondaire, l'obligation n'est pas légale, mais si l'étudiant désire obtenir son diplôme, il doit acquérir les connaissances nécessaires et donc suivre les cours et faire les activités qui lui permettront d'y arriver.

      Parmi les cinq éléments de la situation scolaire définie plus haut, il y en a trois sur lesquels il est possible d'agir afin de faciliter l'apprentissage des étudiants. Ces trois éléments constituent, en fait, les trois pôles d'un triangle classique :

      

Figure 1 : Les trois pôles du triangle


3.2 Triangles et relation entre leurs pôles

      Les trois pôles du triangle peuvent être utilisés à plusieurs fins, selon le point de vue. Develay (1992) mentionne que dès 1975, Guy Avanzini 7  définissait une méthode pédagogique en référence à ces trois pôles: des finalités (ou un savoir prédéterminé), une progressivité didactique ( une stratégie d'enseignement) et une représentation psychologique de l'élève. La méthode d'enseignement était donc constituée par l'articulation de ces trois pôles. Il est également question d'articulation entre ces trois pôles dans un ouvrage de Houssaye (1988), alors que ce dernier tente de définir ce qu'il appelle la "situation pédagogique 8  ". Le modèle de Houssaye fonctionne selon un principe de tiers-exclu : " ... les modèles (pédagogiques) qui en naissent sont centrés sur une relation privilégiée entre deux de ces termes..." 9  . Il est donc possible, à l'aide de ce modèle, de rendre compte de trois types de professeurs (ou de modèles pédagogiques) en fonction de trois processus, pouvant être schématisés comme ceci:

      

Figure 2 : Le triangle pédagogique selon Houssaye (1988)  10 

      Lorsque le couple savoir-professeur est privilégié, l'enseignant est alors centré sur la matière et le modèle pédagogique utilisé est de type magistral, où l'enseignant doit transmettre des contenus (processus "enseigner"). Lorsque le couple professeur-élèves est privilégié, l'enseignant favorisera une pédagogie non-directive où le rapport au savoir, tant de la part de l'enseignant que de l'élève, est moins important et où la relation enseignant -élèves sera centrale (processus " former "). Finalement, lorsque le couple élèves-savoir sera dominant, le rôle du professeur sera plutôt celui de guide, de facilitateur de l'apprentissage. Il utilisera une pédagogie du type de la pédagogie de la découverte ou une pédagogie de type constructiviste (processus " apprendre ").

      Legendre (1993) définit également la situation pédagogique à partir de la triade " sujet-objet-apprenant" et du milieu éducatif. Toutefois, le modèle de Legendre est normatif. Il définit quelles sont les interrelations nécessaires entre les composantes de la situation pédagogique, afin que l'apprentissage soit possible. Étant donné que notre objectif est descriptif, nous n'avons pas utilisé le modèle de Legendre. Nous visons simplement à montrer les éléments qui sont pertinents à notre problématique et leur articulation.

      Dans un autre champ, en l'occurrence celui de la didactique des sciences et des mathématiques, un schéma semblable est utilisé pour rendre compte du champ d'intérêt de la didactique et des concepts que cette dernière revendique. Develay (1992) caractérise la didactique comme "emprunteuse et remodeleuse de savoirs existants " 11  , le regard de la didactique étant centré sur l'appropriation du savoir par l'apprenant. Develay utilise les trois pôles du triangle, qu'il appelle didactique, pour situer la place de trois concepts revendiqués par la didactique soit: les représentations , le contrat didactique et l'ensemble des tâches, des objets, des connaissances procédurales et déclaratives qui constituent une discipline. Cette discipline étant définie à travers l'une des deux dimensions de la transposition didactique selon Develay (1992), le phénomène de didactisation, dont il sera question plus amplement à la section 3.3.2.

      

Figure 3 :Le triangle didactique selon Develay  12 


3.3 Les relations entre les trois pôles du triangle didactique

      Les trois pôles ne sont pas étudiés de façon isolée mais bien dans la relation qui les lie aux deux autres. Ainsi dans ce triangle, le couple professeur-étudiant concerne le contrat didactique qui lie ces acteurs. Le couple professeur-savoir à enseigner concerne, quant à lui, toute la question de la transposition didactique, particulièrement celle effectuée par le professeur lui-même. Finalement, le couple apprenant-savoir à enseigner concerne les représentations des étudiants et, comme nous le verrons plus loin, leurs difficultés par rapport à l'acquisition d'une matière. Voyons plus en détails comment conceptualiser chacune de ces relations.


3.3.1. L'étude du couple"enseignant-apprenant" : le contrat didactique

      Develay citant Brousseau, définit le contrat didactique comme:

" une relation qui détermine, - explicitement pour une petite part, mais surtout implicitement-, ce que chaque partenaire, l'enseignant et l'enseigné, a la responsabilité de gérer et dont il sera responsable, d'une manière ou d'une autre devant l'autre. Ce système d'obligations réciproques ressemble à un contrat. Ce qui nous intéresse est le contrat didactique, c'est-à-dire la part de ce contrat qui est spécifique au contenu." 13 

      Le concept de contrat didactique soulève une question importante concernant la nature de ce contrat. De toute évidence, l'enseignant est le seul des deux partenaires à avoir une obligation légale envers l'élève, mais il est également celui qui, implicitement ou non, détermine ce qui constituera les responsabilités de l'élève. L'environnement pédagogique de la classe ( les programmes, la méthode pédagogique, les stratégies, les manuels, les activités d'apprentissage, etc.) est déterminé par l'enseignant, pour maximiser l'apprentissage de l'élève bien sûr, mais ce dernier ne participe pas à la décision. Le contrat didactique n'est donc pas un contrat négocié entre des partenaires égaux. C'est ce que sous-tend Merieu (1991) lorsqu'il affirme que:

" (...) aussi négocié que soit le contrat, aussi inventif soit-il pour articuler les expériences antérieures du sujet, ses motivations du moment et les ambitions de l'éducateur, il reste fondamentalement dissymétrique. L'éducateur y occupe, en effet, une place irremplaçable puisqu'il anticipe le "bien" de l'autre, brusque, en quelque sorte, son histoire, le contraint de se dégager de l'immédiateté. Le contrat laisse ainsi entièrement intact le projet de modeler l'autre selon ce que l'on croit être bon pour lui, projet constitutif, comme je l'ai dit maintes fois, de l'entreprise éducative" 14  .

      Ainsi, l'élève peut accepter les modalités du contrat déterminé pour son "bien" par l'enseignant, mais il peut également refuser d'y adhérer, forçant l'enseignant à réviser ses positions. L'apprentissage étant un acte volontaire, il exige le consentement de l'élève:

" Le professeur tente d'influencer l'autre, de courtiser son consentement afin de gagner la joute de l'apprentissage. Mais l'élève, essaie à son tour de courtiser le consentement du professeur, pour faire autrement, ou autre chose." 15 

      Develay, quant à lui, doute de la pertinence du concept de contrat didactique comme concept spécifique à la didactique et affirme plutôt la nécessité d'examiner le contrat pédagogique entre le professeur et l'élève, c'est-à-dire la relation entre ces deux partenaires, à travers certains référents théoriques tels la psychanalyse ou la sociologie. Toutefois, il nous semble que le contrat pédagogique, plus global, influence les modalités du contrat didactique et que, de plus, la relation entre l'enseignant et l'élève est nécessairement médiatisée par leur relation au savoir enseigné.


3.3.2 L'étude du couple " enseignant- savoir à enseigner ": la transposition didactique

      La deuxième relation étudiée par Develay concerne le travail de transposition didactique qui est effectué par différents agents sur le savoir savant, afin de déterminer un savoir à enseigner. Ce savoir à enseigner est médiatisé par les caractéristiques qui sont attribuées à l'apprenant par les agents responsables de la transposition didactique.

      Selon Chevallard (1991), le savoir enseigné dans nos écoles est nécessairement différent du savoir savant, et ce, parce que le fonctionnement didactique du savoir et le fonctionnement savant du savoir sont fondamentalement différents. La définition de la transposition didactique est cependant un peu ambiguë dans l'ouvrage de Chevallard. La transposition didactique concernerait à la fois le travail qui permet de faire d'un objet à enseigner un objet d'enseignement (que Chevallard appelle "transposition didactique sticto sensus") et l'étude plus large du processus de transposition didactique (sensus lato), représentée par le schéma suivant:

      

Figure 4 : Représentation schématique de la définition de la transposition didactique "sensus lato" selon Chevallard  16 

      La transposition didactique au sens large peut donc être effectuée par une personne différente de celle qui effectue la transposition didactique au sens stricte (stricto sensus). L'enseignant effectue une transposition didactique au sens strict (passage de l'objet à enseigner à l'objet d'enseignement), mais il travaille à l'intérieur du processus de transposition didactique au sens large (sensus lato). Chevallard ajoute une dimension sociale lorsqu'il mentionne que le passage de l'objet de savoir à l'objet à enseigner résulte d'un projet social d'enseignement (représenté par la première flèche à l'extrême gauche) et aboutit à un contrôle social de l'acquisition de ces savoirs. Mais l'effet de cette dimension sociale est peu explicite.

      La conception de la transposition didactique de Develay (1992) nous semble plus complète. Ce dernier mentionne, en effet, différents degrés de transposition didactique et représente cette conception selon le schéma suivant:

      

Figure 5 : Les différents degrés de la transposition didactique selon Develay  17 

      A un premier niveau, se situe le travail du concepteur de programme qui doit déterminer, à partir du savoir savant et des pratiques sociales de référence, les savoirs "officiels" à enseigner. Le terme de pratiques sociales de référence " ... renvoie à des activités sociales diverses (activités de recherche, de production, d'ingéniérie, mais aussi activités domestiques et culturelles) pouvant servir de référence à des activités scolaires..." 18  . Le savoir à enseigner serait donc fonction à la fois du savoir savant et des valeurs et priorités sociales qui influencent le choix du contenu abordé, les outils utilisés ainsi que les attitudes et rôles sociaux qui seront développés. Le travail de didactisation consiste à dépersonnaliser le savoir savant et à l'affranchir des conditions sociales et historiques de son émergence. Il consiste également à programmer ce savoir en séquences d'acquisition et à le publiciser de façon à permettre ou obliger une homogénéisation du savoir à enseigner (par des programmes distribués et dont l'application est obligatoire par exemple) afin qu'il puisse y avoir un contrôle social de l'acquisition de ce savoir 19  . Quand au choix axiologique, il s'agit du choix des orientations, des méthodes, des niveaux d'objectifs ou des contenus, qui sont fonction des valeurs et des priorités sociales .

      Un deuxième niveau de transposition didactique est effectué par l'enseignant, qui adapte et ajuste le savoir à enseigner à ses priorités, à ses exigences, à son groupe d'élèves etc. Bien que les programmes d'enseignement soient les mêmes pour chacun des enseignants d'un même niveau, aucun d'eux n'accorde la même importance (temps, énergie, exercices, etc.) à chaque objectif ou contenu. Finalement au troisième niveau, l'élève opère une sorte de transposition didactique lorsqu'il assimile le savoir enseigné et ce, en fonction de la tâche qui lui est demandée (mémorisation ou application par exemple). Il peut donc y avoir une différence plus ou moins importante entre le savoir enseigné et le savoir assimilé par l'élève.

      La transposition didactique au sens large, objet d'étude des didacticiens, englobe donc à la fois la question du choix de l'objet à enseigner et de l'adéquation entre ce savoir à enseigner et l'objet qui est effectivement enseigné. Deux questions peuvent se poser. D'abord, pourquoi cette distance entre le savoir savant et le savoir enseigné ? Ensuite, comment s'articule cette distance entre savoir savant et savoir enseigné ? Une réponse à la première question est ébauchée au premier paragraphe de la présente section: "... parce que le fonctionnement didactique du savoir et le fonctionnement savant du savoir sont différents". Le savoir enseigné est un savoir décontextualisé, dépersonnalisé, il est présenté comme une vérité, à tout le moins, une réalité neutre, objective et stable. A ce sujet Chevallard affirme que:

" Le savoir enseigné suppose un processus de naturalisation, qui lui confère l'évidence incontestable des choses naturelles; sur cette nature "donnée", l'école étend alors sa juridiction, fondatrice des valeurs qui, désormais, administrent l'ordre didactique." 20 

      Il nous semble intéressant, ici, de rapporter brièvement les propos de Latour (1989), qui vont dans ce sens. Latour affirme qu'il existe deux types de savoir: le savoir issu de la science en construction et le savoir issu de la science établie.

      Le savoir issu de la science établie est celui qui fait l'objet d'un consensus à l'intérieur de la communauté scientifique et qui est diffusé hors de cette communauté. Toutefois, par consensus, il ne faut pas entendre un accord délibéré de la part des scientifiques, mais plutôt le résultat d'un système de persuasion où chaque groupe de scientifiques tente de convaincre la communauté scientifique de la véracité de ses résultats. Ainsi, un nouveau savoir émerge et s'impose à l'intérieur de la communauté scientifique. Latour compare ce savoir à une boîte noire que l'on utilise sans qu'il soit maintenant nécessaire de poser la question de la véracité de ce qu'elle contient. Ce qu'elle contient est "admis" et "reconnu". Par exemple, personne ne remet en question la formule chimique de l'eau (H20). Cette formule chimique est admise par les "savants", justifiée d'une façon logique et cohérente, utilisée et enseignée dans nos écoles. Selon les époques, bien sûr, le contenu de ces boîtes noires s'est modifié. C'est donc dire que le contenu de ces boîtes noires est admis, jusqu'à preuve du contraire, c'est-à-dire jusqu'à ce que les scientifiques soient convaincus, par d'autres scientifiques, qu'il en est autrement. Lorsque ce qui était de l'ordre du savoir issu de la science établie (les boîtes noires) est remis en cause, on revient dans la sphère de la science en construction. Ce n'est que dans la sphère de la science en construction que le savoir est l'objet de polémiques. Le savoir issu de la science établie n'est pas discuté, il est admis. S'il fait l'objet de révision, il ne s'agit plus de science établie, mais de science en (re)construction.

      Le savoir issu de la science en construction et celui de la science établie fonctionnent donc selon des logiques très différentes et se situent également dans des sphères différentes. Le